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Wuxia
15 avril 2008

Nouvelle d'ambiance...

Adoption (Ipomée, tous droits réservés)

- Niba, lâche ce bol !

La petite tête se tourna , les yeux
endormis vers le visage de son père.
Son lait, il pouvait bien boire son lait,
où était le mal ?
Et ce joli bol ocre rouge à volutes
encrées noires, était son préféré.
– Je sais , Niba. Tu l'aimes bien ce
bol... et lui aussi t'aime bien, tu sais.
Mais il n'est pas fait pour boire ton
lait.
Le potier essuya ses mains grises
de glaise. Les lava avec soin sans
quitter du coin de l'oeil l'objet tourné.
Niba l'avait posé à côté de lui,
obéissant mais sans trop comprendre ce
qu'il avait fait.
Les larges mains rougies par le
travail recueillirent le précieux baobei
dans le creux de leur paume. Elles
versèrent le liquide laiteux dans l'âtre.
L'artisan poussa un soupir puis se
décida. Si Niba savait, il n'y toucherait
plus. Il était bien jeune pour apprendre
ce qu'il en était de l'art des objets
maudits... Pour comprendre ce que le
sang de banyo qui coulait dans ses
veines aurait d'influences sur sa vie.
L'enfant sentit son pouls ralentir
en voyant son père stabiliser le bol au
milieu de ses deux paumes ouvertes. Il
se tenait à quelques mètres de lui,
debout, au centre de la pièce principale
de la maison. Les yeux noirs de
l'artisan se fermèrent, un silence de nuit
s'installa. L'enfant serra les dents. Son
coeur battait la chamade, le feu du
soleil tout entier semblait vouloir
rentrer dans ses veines. Lentement, le
bol se disloqua : l'encre noir effaça les
volutes peintes sur l'argile. Il s'évapora en
petites particules noires qui tournèrent un
instant entre le fils et le père, hésitantes.
L'argile ocre s'écroula sur elle même,
comme un courant de sable.
Celui-ci se répandit dans le creux de la
paume de l'artisan, puis adoptant la
couleur même de sa peau, les grains en
mouvement disparurent comme absorbés
par le corps du potier. Le père tituba un
instant. Ses jambes se raidirent. Les yeux
rongés d'incompréhension, l'enfant
cherchait des signes qui pourraient le
rassurer. Jamais, il n'aurait dû toucher ce
bol.
Une large iris peinte de rouge et de
noir, à la pupille fendue, darda un instant
le petit être qui se tenait à quelques
mètres d'elle. Elle battit des paupières,
puis retrouva le noir bienveillant des
yeux de son père. Un simple souffle avait
ramené le bol, en équilibre, dans le creux
de ses mains tendues. Intact.
Niba n'ouvrit même pas la bouche,
n'eut presque pas le temps de penser à
fuir. L'artisan, un sourire aux lèvres,
ébouriffa les cheveux du gamin en posant
le bol à côté de lui.

– N'utilise pas ce bol pour boire ton lait...

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